Cass. 13 octobre 2021 – Loyer déplafonné – Extension d’une terrasse. |
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RÉSUMÉ
L'autorisation municipale accordée au locataire exploitant un commerce de restaurant-bar-brasserie, lui permettant d'étendre l'exploitation d'une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l'activité commerciale, et la cour d'appel doit rechercher, lorsqu’elle y est invitée, si cette situation modifie les facteurs locaux de commercialité et constitue par là-même un motif de déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER
L'imagination et l'inventivité des plaideurs sont parfois remarquables et peuvent être couronnés de succès. Audaces fortuna juvat[1]. Ainsi, dans l'affaire commentée, les bailleurs, pour obtenir le déplafonnement du loyer du bail commercial en renouvellement, soutinrent que l'extension d'une terrasse devant le local loué à usage de café-bar-restaurant, constituait une modification des facteurs locaux de commercialité.
Les bailleurs ont eu raison d’oser soutenir une thèse originale, puisque la Cour de cassation n'exclut pas le déplafonnement sur le fondement de cette qualification inédite. Les surprises juridictionnelles légitiment toutes les audaces.
La question de la création ou de l'extension des terrasses des cafés ou brasseries est une question classique, qui a souvent été étudiée, lorsque le propriétaire du local, à l'occasion du renouvellement du bail commercial, veut obtenir un déplafonnement du loyer et une fixation à la valeur locative. Cependant, jusqu'à cet extraordinaire arrêt, le débat avait toujours porté seulement sur les caractéristiques du local.
On se demandait, par exemple, si la création de la terrasse avait nécessité l'ouverture de la devanture du local, ou si la nouvelle terrasse était fermée et reliée au local loué par des aménagements fixes, ou des installations particulières, tout ceci pour apprécier l'éventuelle modification des caractéristiques du local loué au sens de l'article R.145–3 du Code de commerce.
Il avait ainsi été admis que le déplafonnement du loyer pouvait intervenir lorsque le locataire avait créé, au cours du bail expiré, une terrasse couverte pourvue d'une installation de chauffage central[2].
Cependant, la jurisprudence dominante excluait ce motif de déplafonnement pour deux raisons.
D'une part, la création ou l'extension d'une terrasse ne porte pas sur les lieux loués eux-mêmes, mais sur le domaine public, pour lequel le locataire paye une redevance. Il n'y a donc pas, sauf cas particulier, de modification des caractéristiques des lieux loués eux-mêmes[3].
D'autre part, les terrasses installées sur le domaine public sont par nature précaires, puisqu'une concession peut prendre fin à tout moment[4].
Dans l'affaire commentée, le locataire avait procédé à une extension de la surface de sa terrasse, extension importante de 94 m² et certainement intéressante pour l'exploitation de son commerce.
La Cour de cassation, sur la première branche du moyen dont elle était saisie, confirme la jurisprudence précitée selon laquelle il n'y a pas de modification des caractéristiques des lieux loués dès lors que la terrasse « ne fait pas partie de ceux-ci » puisqu’elle est « installée sur le domaine public et exploitée en vertu d'une autorisation administrative ».
Mais sur la seconde branche du moyen, la Cour de cassation suit la thèse des bailleurs et casse l'arrêt de la cour d'appel qui n'avait pas accepté le déplafonnement du loyer.
Cette seconde branche du moyen portait sur les facteurs locaux de commercialité : les bailleurs soutenaient une thèse nouvelle, selon laquelle l'extension de la terrasse devait être
« regardée comme une modification notable des facteurs locaux de commercialité qui avait nécessairement une incidence favorable sur le commerce de bar-brasserie exploité par la preneuse ».
Les bailleurs faisaient valoir que « la modification notable des facteurs locaux de commercialité qui a une incidence favorable sur le commerce exploité par le preneur constitue un motif de déplafonnement ». Ils rappelaient que les facteurs locaux de commercialité « dépendent notamment de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance du lieu de son implantation, et de l’attrait particulier que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée. ».
Certes, l'existence d'une grande terrasse sur le domaine public améliore incontestablement
« l'attrait » du local lui-même. Mais lorsque le texte parle de l’attrait de l’emplacement, il vise sa situation, plus ou moins bonne et sa chalandise.
La Cour de cassation paraît néanmoins vouloir adopter la thèse du bailleur puisqu'elle expose que « l'autorisation municipale accordée, en permettant d'étendre l'exploitation d'une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l'activité commerciale ». On peut se demander si cette affirmation relève du droit ou ne constitue pas plutôt une considération de pur fait.
Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel en lui reprochant de ne pas avoir vérifié si cette terrasse ne modifiait pas les facteurs locaux de commercialité.
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La Cour de cassation veut-elle renouer avec l'orientation politique des années 1990 lorsque l'on pouvait lire dans son rapport annuel, sous la plume de Madame Agnès Fossaert-Sabatier : « Il est possible de discerner dans la jurisprudence récente une tendance à l'élargissement des hypothèses d'exclusion de la règle du plafonnement »[5].
Cette conception paraissait pourtant abandonnée en faveur d'un retour à un plus juste équilibre, dans le cadre d'une réhabilitation du plafonnement[6].
La jurisprudence peut hésiter entre deux impératifs : d'un côté, celui visant à favoriser l'application de la valeur locative, considérée comme le juste prix ; de l’autre, l'impératif de stabilité de l'entreprise commerciale, qui ne peut pas supporter de brusques augmentations de loyer, raison pour laquelle le statut protecteur des baux commerciaux institue un système de plafonnement.
En ce qui concerne l'impératif de stabilité, il est vrai que depuis que la loi Pinel a organisé un lissage des augmentations de loyer en cas de déplafonnement, à raison de 10 % par an[7], le déplafonnement du loyer a des résultats apparemment moins brutaux pour l'entreprise commerciale.
Il convient néanmoins de rester prudent, avant d'afficher une orientation jurisprudentielle particulière, car une disposition apparemment protectrice du locataire peut avoir des effets néfastes ou limités[8].
Quoi qu'il en soit, indépendamment d'une éventuelle nouvelle politique jurisprudentielle, la solution doit s'apprécier au regard de la règle de droit.
Or, jusqu'à présent, les facteurs locaux de commercialité étaient toujours appréciés en fonction des éléments extrinsèques à l'activité du locataire.
La prise en compte de dispositions prises par le locataire lui-même, qui a obtenu une autorisation administrative d'exploitation et qui a procédé à des travaux d'extension d'une terrasse, revient à prendre en compte des éléments intrinsèques au commerce exploité.
Nous nous souvenons d'une rue parisienne où un commerce d'avant-garde s'était installé et s'était développé en prenant à bail plusieurs locaux dans cette même rue. Celle-ci, dont la commercialité était jusqu'alors faible, avait connu une forte amélioration de sa fréquentation.
Mais cette amélioration de la commercialité était due au locataire lui-même qui attirait les clients avec ses trois ou quatre boutiques. Faudra-t-il désormais déplafonner dans une telle hypothèse ?
Le dynamisme d'un locataire, dont l'activité rejaillit sur un secteur ou dans une rue, doit-il désormais être pris en compte comme modification des facteurs locaux de commercialité, justifiant le déplafonnement du loyer de ce même locataire ?
La création jurisprudentielle, qui met l’imagination au pouvoir, est une œuvre sans fin et l’imprévu des solutions une source d’espoirs illimités.
[1] La fortune sourit aux audacieux.
[2] CA Paris 29 oct. 1991, D. 1992, inf.rap., p. 29 ; JCP E. I, 1992, p. 149, n° 46-3, obs. J. Monéger.
[3] CA Paris 12 déc. 1995, Administrer juin 1997, p. 30 ; CA Paris 4 févr. 1997, Administrer juin 1997, p. 31 ; Cass. 3e civ. 4 févr. 1998, Rev. loy. 1999, p. 337, note Rémy ; CA Paris 25 sept. 2008, Gaz. Pal. du 7 févr. 2009, note C.-E. Brault.
[4] Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n° 99-21.801, Administrer oct. 2001, p. 42, note J.-D. Barbier ; sur la question voir J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le Statut des baux commerciaux, LGDJ, éd. 2020, p. 190.
[5] Le prix du bail renouvelé : encadrement ou liberté ? Rapport de la Cour de cassation pour 1999, Documentation française 2000, p. 157.
[6] J.-D. Barbier, La nouvelle valeur locative, Gaz. Pal. 12 mars 2011, doctr. p. 9.
[7] Sauf lorsque le déplafonnement résulte d'une tacite prolongation au-delà de 12 ans et sauf pour les baux de terrain de locaux monovalents et de bureaux, ces quatre exceptions n'ayant aucune justification ni aucune explication.
[8] Voir notamment J.-D. Barbier, Echec à l'échéancier (à propos de l'étalement des hausses du loyer commercial), Gaz. Pal. 1er nov. 2019, doctr. p. 41 ; J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le Statut des baux commerciaux, LGDJ éd. 2020, p 201.
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