Cass. 13 septembre 2018 – Adaptation de la clause d’indexation en cas de décalage de la date du renouvellement.

RÉSUMÉ.

Le bail commercial ayant été consenti à compter du 1er janvier 1994, la société bailleresse, après avoir refusé de renouveler le bail a exercé son droit de repentir et a offert à la société locataire le renouvellement du bail au 1er février 2006 puis l’a assignée en fixation du montant du loyer révisé. La société locataire a demandé que la clause d’indexation prévue au bail soit réputée non écrite. Pour accueillir la demande de la société locataire, l’arrêt retient que l’application de la clause d’indexation insérée au bail renouvelé engendre une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire (2ème trimestre 2005 – 2ème trimestre 2006 : 12 mois) et la durée écoulée entre les deux révisions (1er février 2006 au 1er janvier 2007 – 11 mois) et que cette distorsion opère mécaniquement un effet amplificateur lors des indexations suivantes pendant toute la durée du bail.

En statuant ainsi, alors que la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu le 1er février 2006 et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer fixée au 1er janvier 2006, la cour d’appel a violé l’article L.112-1 alinéa 2.

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER.

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme qu’une distorsion fortuite intervenant dans le jeu d’une clause d’indexation ne doit pas entrainer l’annulation de la clause d’indexation, mais rend nécessaire son adaptation aux nouvelles circonstances [1]. La validité des clauses d’indexation et de leur application a donné lieu à une abondante jurisprudence ces dernières années.

A propos des clauses comportant un indice de base, la Cour de cassation, après de longs débats doctrinaux et jurisprudentiels, a tranché par un arrêt du 11 décembre 2013, en décidant que la stipulation d’un indice de référence fixe était valable dès lors que son application n’avait pas conduit à créer une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée s’écoulant entre deux indexations, lors des réajustements [2]. La Cour de cassation a jugé qu’une clause d’indexation comportant un indice de référence n’était pas contraire à l’article L.112-1 du Code monétaire et financier, alors que la mention de cet indice n’était que l’illustration de la volonté des parties de prendre en compte les derniers indices publiés, tant au début qu’à la fin de la période concernée par la révision et de faire coïncider la durée de cette période avec celle de la durée d’évolution des indices[3].

En droit, il importe peu que le loyer indexé soit calculé à partir du loyer initial avec un indice de base, ou à partir du dernier loyer avec le dernier indice, dès lors que le résultat est identique et qu’il n’y a pas de distorsion lors du calcul. Cependant, si l’article L.112-1 du Code monétaire et financier n’interdit pas la prise en compte d’un indice de base fixe, en revanche, il prohibe toute organisation contractuelle d’une distorsion entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre deux révisions. Aussi la clause d’indexation est-elle irrégulière et doit-elle être réputée non écrite lorsqu’un avenant, en cours de bail, maintient la clause d’indexation initiale en l’appliquant au nouveau loyer convenu dans l’avenant[4], ou lorsqu’il y a un décalage d’un trimestre entre la période de variation de l’indice et la durée écoulée entre deux révisions [5].

La sanction prévue par l’article L.112-1 du Code monétaire et financier doit être appliquée, et la clause d’indexation doit être réputée non écrite, dès lors qu’une distorsion effective est établie, même si ses effets sont minimes, le Juge du fond n’ayant aucun pouvoir d’appréciation quant à l’importance de la distorsion[6]. En l’espèce, le bail avait été consenti à compter du 1er janvier 1994. La clause d’indexation stipulait que l’indice de base était le dernier indice connu à la date de prise de possession et que l’indexation interviendrait « tous les ans à la date anniversaire du présent bail (…) en fonction de l’indice de base et de l’indice du même trimestre de l’année en cours ».

Ainsi, l’indexation devait intervenir le 1er janvier de chaque année. Cependant, à la fin du bail, la société bailleresse signifia d’abord un refus de renouvellement, puis notifia son droit de repentir le 1er février 2006. Le bail fut donc renouvelé à compter du 1er février 2006. La cour d’appel releva qu’il y avait une distorsion effective entre la variation indiciaire sur 12 mois et la durée s’écoulant entre la date du renouvellement (1er février 2006) et la première révision (1er janvier 2007), soit 11 mois. Ainsi, en raison de la date d’exercice du droit de repentir, au demeurant parfaitement régulier, la clause d’indexation deviendrait impraticable.

En effet, pour respecter le délai d’un an, il faudrait faire jouer la clause d’indexation au 1er février de chaque année, ce qui n’est pas possible, sauf à modifier la convention des parties, puisque celle-ci stipule expressément une indexation au 1er janvier. Pour respecter l’indexation au 1er janvier, il faudrait alors procéder à un calcul de la première indexation en prenant une variation indiciaire sur trois trimestres ce qui, là encore, n’est pas possible, sauf à modifier la convention des parties qui stipule une indexation sur une année entière. Pour sauver sa clause d’indexation, la société bailleresse demandait au Juge de reporter la date anniversaire de l’indexation, c’est-à-dire de la décaler du 1er janvier au 1er février. La société locataire répondait que le Juge n’avait pas le pouvoir de modifier la convention des parties et qu’au surplus l’article R.145-22 du Code de commerce dispose : « Si l’un des éléments retenu pour le calcul de la clause d’échelle mobile vient à disparaitre, la révision ne peut être demandée et poursuivie que dans les conditions prévues à l’article L.145-38 ».

Selon la société locataire, ce texte interdirait toute adaptation : l’indice de base ayant en quelque sorte disparu, seule la révision légale pourrait être appliquée, la clause d’échelle mobile étant alors réputée non écrite.

La Cour de cassation ne suit pas cette thèse. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel en faisant observer que « la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu le 1er février 2006 et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer fixée au 1er janvier 2006 ». La portée de cette importante décision est éclairée par le précédent arrêt rendu par la 3ème Chambre civile le 17 mai 2018, qui concernait un décalage résultant, non pas d’un renouvellement, mais d’une révision légale intervenue à une date autre que celle prévue dans la clause d’indexation.

La Cour suprême avait décidé que le Juge pouvait, dans ce cas, adapter le jeu de la clause d’échelle mobile aux nouvelles circonstances [7]. La distorsion sanctionnée par l’article L.112-1 du Code monétaire et financier est une distorsion prévue, organisée, volontaire. Lorsque cette distorsion résulte non pas de la volonté des parties, mais de mise en œuvre de règles légales (telle une révision légale ou tel un renouvellement à la date prévue par la loi) elle doit alors être corrigée par le Juge.

Conformément à l’ancien article 1156 et au nouvel article 1188 du Code civil, il ne faut pas s’arrêter à la lettre de la convention, mais respecter la volonté licite des parties. Le Juge, à défaut d’accord des parties, doit ajuster la convention, non l’annuler[8]. En l’occurrence, les juges du fond auraient dû maintenir la clause d’indexation en précisant simplement que, du fait du renouvellement au 1er février, l’indexation annuelle serait décalée au 1er février de chaque année. Ils auraient pu, de la même façon maintenir la clause d’indexation au 1er janvier, en précisant seulement que la première indexation se calculerait sur trois trimestres.

La Cour de cassation rappelle que les juges du fond doivent adapter la convention. Elle ne donne pas la méthode pratique d’adaptation et il appartiendra aux juges, au cas par cas, de retenir la correction la plus respectueuse de la volonté des parties.

[1] Dans le même sens voir Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n°17-15146, Administrer juin 2018, p. 31, note J-D. Barbier [2] Cass. 3e civ. 11 décembre 2013, Administrer février 2014, p.31rnrn[3] Cass. 3e civ. 16 octobre 2013, n° 12-16335, Gaz. Pal. du 26 novembre 2013, p. 23 ; Cass. 3e civ. 26 janvier 1994, n° 91-18325.rnrn[4] Cass. 3e civ. 25 février 2016, Administrer mai 2016, p. 25, note J.-D. Barbier. [5] Cass. 3e civ. 9 février 2017, n° 15-28691, Administrer mars 2017, p. 27, note J.-D. Barbier. [6] Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n°17-11635, Gaz. Pal. du 17 juillet 2018, p.58, note J.-D. Barbier [7] Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n°17-15146, Administrer juin 2018, p. 31, note J-D. Barbier n[8] J.-D. Barbier et T. de Peyronnet, L’indice à l’index, Gaz. Pal. 2 juillet 2011, doctr. p.5, spéc. P.8 et 9

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