Cass. 16 mars 2017 – Durée du bail renouvelé : un bail de 12 ans se renouvelle pour 9 ans.

RÉSUMÉ

Pour annuler le congé et rejeter les demandes des bailleurs, qui soutenaient que le bail avait duré neuf ans et que le locataire cessionnaire n’avait pas droit au renouvellement dès lors qu’il n’avait pas exploité les lieux au cours des trois dernières années du bail, l’arrêt retient qu’il résulte d’un précédant l’arrêt que l’ancien locataire, dans ses dernières conclusions, avait demandé à la cour de lui donner acte de ce qu’il ne contestait pas l’ordonnance dont appel, laquelle avait reconnu le principe de déplafonnement au motif décisoire que les parties avaient expressément entendu déroger à la durée du bail de neuf ans et que le locataire avait accepté le principe de renouvellement offert expressément pour une durée de douze ans, la cour donnant acte aux parties de leur accord sur le prix du loyer différent de celui fixé par l’ordonnance entreprise ainsi infirmée

En statuant ainsi, en déduisant la volonté du locataire d’accepter que la durée du bail renouvelé soit portée à douze ans de ce qu’il avait déclaré ne pas contester une ordonnance qui se bornait à dire que le loyer était déplafonné et à en fixer le montant, la cour d’appel, qui a statué par un motif impropre à caractériser l’accord du locataire sur la durée du bail renouvelé, a violé l’article L.145-12, alinéa 1er, du Code de commerce, ensemble l’article 1134 du Code civil.

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER

Aux termes de l’article L.145-12 du Code de commerce : « La durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue ». La Cour de cassation considère que ce texte est d’ordre public. Effectivement, la durée du bail renouvelé est un attribut essentiel du droit au renouvellement et, conformément à l’article L.145-15 du Code de commerce, toutes les clauses, stipulations et arrangements ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement sont réputées non écrits.

L’accord des parties pour une durée plus longue, au sens de l’article L.145-12, doit être un accord postérieur à la date du renouvellement. C’est seulement lorsque le droit est acquis que les parties peuvent déroger à une disposition d’ordre public. Ainsi, « lors de chaque renouvellement, il appartient aux parties d’exprimer expressément leur volonté de contracter pour une durée de douze années, faute de quoi le bail est renouvelé pour la durée légale de neuf années »[1]. L’accord sur une durée de douze ans doit intervenir « postérieurement à la date d’effet du congé »[2].

Jusqu’à présent, les jurisprudences qui s’étaient dégagées concernaient des locataires qui ne voulaient pas d’un bail de douze ans, mais de neuf ans. L’affaire commentée concerne au contraire la demande d’un propriétaire qui soutenait qu’un bail de douze ans s’était renouvelé pour neuf ans : la durée de neuf ans fixée à l’article L.145-12 du Code de commerce, d’ordre public, pourrait ainsi être invoquée tant par le bailleur que par le preneur. Le bien-fondé de cette lecture est sans doute discutable, puisque le statut des baux commerciaux est un statut protecteur du locataire, mais le texte ne fait pas expressément de distinction entre les parties.

On sait que lorsqu’un texte ne précise pas expressément qu’il bénéficie à une seule des parties, la Cour de cassation en fait profiter les deux parties. C’est ce qui a été jugé, par exemple, conformément à la lettre du texte, mais contrairement à son esprit, pour les baux dérogatoires prévus à l’article L.145-5 du Code de commerce. Le bailleur lui-même peut se prévaloir du maintien dans les lieux du locataire pour lui imposer un bail commercial[3].

En l’occurrence, ces circonstances de fait étaient assez originales. Un premier bail de douze ans avait été conclu. Lors du renouvellement de ce bail, le locataire soutenait qu’il se renouvelait pour neuf ans, tandis que le bailleur soutenait qu’il se renouvelait pour douze ans. Mais la question ne fut pas soumise à la juridiction compétente et ne fut donc pas tranchée. Le loyer du bail renouvelé fut simplement fixé par le juge des loyers commerciaux à la valeur locative puisque le bail expiré avait bien duré douze ans. Une incertitude subsistait donc : le bail avait-il été renouvelé pour neuf ans ou pour douze ans ?

Au cours de ce renouvellement, le locataire céda son droit au bail à un tiers. Le bailleur donna alors congé au nouveau locataire, pour le terme des neuf ans, en faisant valoir qu’il n’avait pas droit au renouvellement puisqu’il ne totalisait pas une durée d’exploitation de son fonds de commerce de plus de trois ans[4]. Pour échapper à la sanction de la perte du droit au renouvellement, le locataire soutenait que le bail renouvelé devait durer douze ans, ce qui lui donnait trois ans de plus pour justifier d’une durée d’exploitation suffisante. Si la durée était de neuf ans, le locataire perdait son droit au renouvellement. Si elle était de douze ans, il conservait son droit au renouvellement.

Voilà pourquoi les parties plaidaient, à l’occasion de ce congé, exactement le contraire de ce qu’elles avaient soutenu neuf ans plutôt.

La Cour de cassation donne raison au bailleur. Lors du précédent renouvellement le locataire n’avait pas contesté l’ordonnance du juge des loyers commerciaux fixant le montant du loyer déplafonné. Mais aucune manifestation de volonté expresse n’avait été exprimée quant à la durée du bail renouvelé. Le bail avait donc été renouvelé, non pas pour douze ans, mais pour neuf ans, conformément à la règle légale et comme le bail ainsi renouvelé avait fait l’objet d’une cession entre la sixième et la neuvième année, le cessionnaire ne bénéficiait pas du droit au renouvellement, puisqu’il n’était pas propriétaire du fonds de commerce depuis plus de trois ans.

1] Cass. 3e civ. 2 octobre 2002, Gaz. Pal. du 1er février 2003, p. 13, note J.-D. Barbier. [2] Cass. 3e civ. 18 juin 2013, n° 12-19568, Administrer décembre 2013, p. 28, comm. J.-D. Barbier. [3] Cass. 3e civ. 31 mai 1994, Gaz. Pal. 1994, 2, 706, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ. 24 novembre 2004, Administrer janvier 2005, p. 32, note J.-D. Barbier. [4] Sur la condition de durée d’exploitation en cas de cession au cours de la dernière période triennale du bail voir : Cass. 3e civ. 6 novembre 1991, Gaz. Pal. 1992,1, 80, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ. 19 juillet 1995, Loyers et copr. 1995, n° 475, note Ph.-H. Brault ; Cass. 3e civ. 27 juin 1990, Gaz. Pal. 1991, 1, 83, note J.-D. Barbier.

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