Cass. 20 décembre 2018 – Coût des travaux et perte de la chose louée.

RÉSUMÉ

. Le bail prend fin de plein droit par la perte totale de la chose louée. Doit être assimilée à la perte totale de la chose louée la nécessité d’effectuer des travaux dont le coût excède sa valeur qui s’apprécie notamment en fonction des revenus procurés par l’immeuble. Les juges du fond ne peuvent pas rejeter la demande des bailleresses afin de résiliation du bail pour perte de la chose louée, sans vérifier s’il n’y avait pas une disproportion entre le coût des travaux nécessaires et les revenus générés par l’immeuble.

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER.

La Cour de cassation rappelle que l’on ne peut pas obliger un propriétaire à réaliser sur son immeuble des travaux disproportionnés par rapport au revenu que procure l’immeuble. Dans un tel cas, si le bail ne peut pas être maintenu sans la réalisation des travaux exorbitants, le propriétaire peut se prévaloir de la résiliation de plein droit du bail sans indemnité. La règle figure aux articles 1722 et 1741 du Code civil, tous deux visés dans l’arrêt commenté.

Selon l’article 1722 du Code civil : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement ». L’article 1741 du Code civil ajoute : « Le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements ».

Certes, l’article 1722 du Code civil envisage « la destruction » de la chose louée, mais la jurisprudence a depuis longtemps assimilée la perte économique à la perte matérielle. Il y a perte économique de la chose louée, justifiant la résiliation du bail, lorsque l’importance des réparations nécessaires est disproportionnée par rapport aux revenus de la chose louée [1]. Le coût des travaux peut parfois dépasser la valeur vénale de l’immeuble[2]. La perte de la chose louée, notamment en cas d’incendie, peut intervenir non seulement en cours de bail, mais également pendant la période de maintien dans les lieux lorsqu’un locataire a reçu un congé comportant refus de renouvellement. Si la destruction totale de la chose louée n’est pas imputable à une faute du bailleur, le locataire peut alors perdre purement et simplement son droit à indemnité d’éviction [3].

Dans l’affaire commentée, le bail portait sur un hôtel. En matière hôtelière, les travaux sont parfois très importants, notamment lorsque l’Administration s’en mêle et vient prescrire de nombreuses mises aux normes et autres travaux, tels la création d’un accès handicapés, la réfection de l’installation sanitaire, la modification de l’exutoire des fumées, la mise en conformité de l’ascenseur, etc. L’Administration prescrit, généralement sous la menace d’une fermeture, pour marquer son autorité, et ne s’inquiète guère des financements qui ne la concernent pas.

En l’occurrence, le locataire avait lui-même déjà réalisé un certain nombre de travaux important pour quelques 140.549 € hors taxes : mise en conformité de l’ascenseur, réparation des alarmes, rénovation électrique, aménagement des salles de bain, aménagement des portes coupe-feu, réfection de l’installation sanitaire, création de bouche de recyclage, etc. Mais cela n’était pas suffisant. Il fallait encore créer un accès handicapés, mettre en sécurité des éléments du sous-sol, créer un sas d’accès aux chambres, modifier l’exutoire des fumées, etc., pour quelques coûts supplémentaires estimés à 310.755 € hors taxes. Les bailleresses trouvaient le projet plaisant au regard du loyer mensuel de 600 € qui leur était généreusement versé. Elles avaient calculé que le coût de l’ensemble des travaux représentait soixante-neuf années de loyer, la perspective d’un retour sur investissement étant repoussée à la troisième génération.

C’est pourquoi l’arrêt de la Cour d’appel, qui avait refusé de constater la résiliation du bail, et cassé. La perte économique de la chose louée n’était guère discutable. On espère que l’arrêt sera communiqué à l’Administration pour que l’architecte de sécurité, le technicien du bureau de la réglementation incendie, le responsable du bureau de la réglementation accessibilité, la chargée d’affaires sécurité bâtimentaire, le responsable de subdivision, la troisième adjointe au chef du service technique et le second sous-délégué à l’hygiène soient invités à méditer, en leur âme et conscience, sur le bon usage du pouvoir et la vanité de prescriptions impossibles.

En principe, la résiliation du bail intervient sans aucune indemnité. Toutefois, si la perte de la chose louée résulte d’une faute du bailleur, le bail est bien résilié, mais des dommages et intérêts peuvent alors être mis à sa charge. Nonobstant les dispositions de l’article 1722 du Code civil selon lesquelles il n’y a lieu à aucun dédommagement, lorsque la perte totale résulte d’une faute du bailleur, celui-ci peut être condamné à réparer le préjudice subi par le locataire[4]. Au demeurant, la perte de la chose louée peut éventuellement résulter d’une faute du locataire lui-même, notamment en cas d’incendie. C’est alors le locataire qui peut, dans ce cas, être condamné à des dommages et intérêts[5].

[1] Cass. 3e civ. 17 décembre 1986, Rev. Loyers 1987, p. 95 ; Cass. 3e civ. 23 juin 2016, n° 15-15348, Administrer juillet 2016, p. 27, note J.-D. Barbier. [2] Cass. 3e civ. 12 juin 1991, Bull. civ. 1991, III, n° 169, Cass. 3e civ. 8 décembre 1993, Bull. civ. 1993, III, n° 160 ; Cass. 3e civ. 9 décembre 2009, Loyers et copr. 2010, n° 45.[3] Cass. 3e civ. 1er avril 2008, Administrer juin 2008, p. 31, note J.-D. Barbier. [4] Cass. 3e civ. 22 janvier 1997, Loyers et copr. 1997, n° 130, D. 1998, p. 43.[5] Cass. 3e civ. 4 avril 2001, n° 99-12322, AJDI juillet-août 2001, p. 600, note P. Briand.

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