Les clauses de loyer variable sont celles qui prévoient un loyer à double composante : d’une part, une partie fixe, correspondant à un certain montant, généralement indexé, et d’autre part, une partie variable, correspondant à un pourcentage du chiffre d’affaires du locataire. On qualifie le loyer de loyer binaire. Dans la quasi-totalité des cas, ce mode de détermination de loyer est alternatif. Le bailleur est assuré de toucher le loyer minimum garanti, parfois qualifié de loyer de base, constitué par la partie fixe indexé. Mais si le pourcentage convenu sur le chiffre d’affaires aboutit à un montant supérieur à celui du loyer minimum garanti, le bailleur encaisse alors ce supplément.
Comme le loyer minimum garanti correspond à la valeur locative, c’est-à-dire en fait au maximum, le supplément constitué par le loyer variable, dans l’hypothèse où le chiffre d’affaires est élevé, n’a pas de contrepartie.
Cette astucieuse organisation du déséquilibre contractuel, qui s’est généralisée dans les centres commerciaux, permet au propriétaire d’être associé au chiffre d’affaires du locataire lorsque les affaires sont prospères, et d’encaisser un loyer minimum garanti indexé excluant toute participation aux pertes, lorsque les affaires vont moins bien.
Il s’agit certes d’une clause déséquilibrée, figurant dans les baux de centres commerciaux qui sont généralement des contrats d’adhésion[1], mais l’article 1171 du Code civil interdit toute sanction, puisque le deuxième alinéa de ce texte stipule : « L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».
L’adéquation du prix à la prestation devrait toutefois pouvoir être rétablie, puisque dans ses derniers arrêts, la Cour de cassation considère que, lors du renouvellement du bail, le juge, compte tenu des clauses figurant actuellement dans les baux de centres commerciaux, peut statuer sur le montant du loyer minimum garanti.
Les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation doivent être replacés dans leur contexte, mais l’on peut penser que l’état du droit n’est pas encore stabilisé.
Les clauses de loyer variable ont un lourd passé (I), et l’avenir reste incertain (II).
I – LE PASSÉE
Pendant plus de trente ans, la question des loyers variables est restée réglée, avec une très grande stabilité, par la jurisprudence dite « Théâtre Saint Georges », cet intitulé étant toutefois légèrement usurpé, puisque la solution jurisprudentielle était en fait antérieure à l’arrêt Théâtre Saint Georges (A).
Cette jurisprudence a été remise en cause par la nouvelle rédaction des clauses de loyer variable, qui a aboutit aux arrêts de la Cour de cassation des 3 novembre 2016 et 29 novembre 2018 (B).
A – LA JURISPRUDENCE THÉÂTRE SAINT GEORGES
La Cour de cassation a dû qualifier les clauses de loyer variable (1), puis a statué à l’occasion de révisions triennales (2) pour se prononcer enfin, par son arrêt « Théâtre Saint Georges », à propos d’un renouvellement (3).
1°- Qualification de la clause de loyer variable
La Cour de cassation jugea que les clauses qui instituaient des loyers alternatifs, déterminables année par année, spécialement en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le locataire, ne constituaient pas des clauses d’échelle mobile[2]. Les clauses de loyer variable ne sont donc pas des clauses d’indexation.
La Cour de cassation précisa ensuite qu’il s’agissait d’un mode particulier de détermination du loyer particulier, qui n’entrait pas dans les prévisions du statut des baux commerciaux[3].
2°- Clause de loyer variable et révisions légales
Les révisions du loyer prévues autrefois par les articles 27 et 28 du décret du 30 septembre 1953, et aujourd’hui par les articles L.145-38 et 39 du Code de commerce, sont d’ordre public. Toute stipulation faisant échec aux révisions légales est réputée non écrite[4]. La Cour d’appel de Paris avait estimé que les clauses de loyer variable, interdisant les révisions légales, devaient être annulées. Cette solution paraissait conforme aux textes, puisqu’il n’est pas possible de réviser un loyer selon les critères statutaires sans exclure la clause de loyer variable. La Cour de Paris observait que la clause de loyer variable empêchait que « le loyer soit réellement ramené à la valeur locative puisque aussi bien par le jeu du pourcentage sur le chiffre d’affaires, le bailleur pourrait continuer à ajouter à ladite valeur locative constatée une rémunération complémentaire excédant celle-là »[5].
La jurisprudence de la Cour de Paris fut cassée. Tout en constatant l’incompatibilité des clauses de loyer variable avec les règles des révisions légales d’ordre public, la Cour de cassation estima néanmoins que ces clauses ne devaient pas être annulées, mais qu’elles devaient sortir du statut des baux commerciaux. Il fut jugé que les clauses de loyer variable constituaient un mode particulier de détermination du loyer n’entrant pas dans les prévisions de la loi[6].
La Cour de cassation précisa, dans une formule qui sera constamment reprise depuis lors, que « la révision d’un loyer comprenant une partie fixe et une partie constituée par un pourcentage du chiffre d’affaires du preneur échapp(ait) aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n’(était) régie que par la convention des parties »[7]. Dès lors, toute demande de fixation du loyer par le juge devait être rejetée.
Cette jurisprudence, interdisant la révision judiciaire du loyer en cours de bail, pouvait être opposée à une demande du propriétaire, mais également à une demande du locataire[8].
Cette solution était critiquable puisque, lorsqu’une clause contractuelle fait obstacle à l’application d’une disposition légale d’ordre public, c’est la clause contractuelle qui doit être écartée, non la disposition légale.
3°- Clause de loyer variable et renouvellement : l’arrêt Théâtre Saint Georges
La question ayant été réglée, nonobstant l’ordre public, pour les révisions de loyer en cours de bail, quelle solution fallait-il adopter à l’occasion du renouvellement du bail, étant précisé que les règles légales de fixation du loyer en renouvellement ne sont pas, jusqu’à présent, considérées d’ordre public ?
Par un arrêt du 17 juin 1987, la Cour de cassation avait observé que la clause de loyer variable pouvait continuer à recevoir application dans le cadre du bail renouvelé[9]. Mais dans une autre décision du 28 octobre 1987, elle avait approuvé une cour d’appel qui « recherchant la commune intention des parties, avait souverainement retenu que la limitation du loyer à un pourcentage du chiffre d’affaires de la société locataire cesserait de s’appliquer à l’expiration du bail »[10].
Finalement, par son arrêt dit « Théâtre Saint Georges » du 10 mars 1993, la Cour de cassation, dans le cadre du renouvellement d’un bail, maintint la jurisprudence développée à propos des révisions.
Elle jugea : « La fixation du loyer renouvelé d’un tel bail (un bail à loyer binaire) échappe aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n’est régie que par la convention des parties »[11].
Comme l’observa le Professeur J. Derruppé : « Ce qui avait été jugé à propos des procédures de révision en cours de bail ne pouvait qu’être réitéré à l’égard de la fixation du loyer du bail renouvelé (…). Le bail se renouvelle aux clauses et aux conditions initialement convenues y compris celles déterminant le loyer selon la combinaison d’un loyer minimum et d’un loyer variable »[12].
Cette jurisprudence donna lieu à de nombreux débats doctrinaux, mais a été constamment maintenue par la Cour de cassation. Le loyer binaire échappe au statut des baux commerciaux et n’est régi que par la convention des parties. A défaut d’accord, dans le cadre d’un renouvellement, le loyer reste régi par la clause de loyer variable. Le bail se renouvelle avec le loyer binaire convenu, c’est-à-dire moyennant le loyer minimum garanti indexé et, alternativement, le pourcentage sur le chiffre d’affaires du locataire[13].
Cette jurisprudence avait un double fondement.
D’une part, la clause de loyer binaire était incompatible avec les règles statutaires, car elle se référait à des notions étrangères à la réglementation, tels le chiffre d’affaires ou le minimum garanti. Comme l’écrivait à l’époque le Président Pierre Garbit : « Il existe une incompatibilité fondamentale entre la clause-recette et les modes de détermination du loyer prévus par le décret ».
D’autre part, l’indivisibilité du loyer interdisait toute fixation judiciaire d’une composante seulement de ce loyer.
Mais l’imagination rédactionnelle des propriétaires, et la bienveillance avec laquelle la Cour de cassation accueille ces clauses, vont donner lieu à de nouvelles jurisprudences.
B – LES NOUVELLES CLAUSES ET LA NOUVELLE JURISPRUDENCE
Afin de contrer la jurisprudence Théâtre Saint Georges les bailleurs, notamment dans les centres commerciaux, modifièrent les clauses de leurs baux-types. Il fut stipulé que, lors du renouvellement du bail, le loyer minimum garanti serait fixé à la valeur locative, que les parties entendaient se soumettre à la procédure prévue par le statut des baux commerciaux, et qu’elles attribuaient compétence au juge des loyers commerciaux pour fixer ce minimum garanti.
Ces clauses donnèrent lieu à de nouveaux débats.
Un certain nombre de juridictions estimèrent qu’une clause contractuelle ne pouvait pas modifier les pouvoirs du juge en l’obligeant à fixer, non plus un loyer statutaire, mais un minimum garanti[14].
Cependant, la Cour de cassation, abandonnant la jurisprudence Théâtre Saint Georges, estima que les clauses de loyer variable n’étaient plus incompatibles avec le statut des baux commerciaux et que le loyer n’était plus indivisible.
1° – Les arrêts Marveine du 3 novembre 2016
Par deux arrêts du 3 novembre 2016, largement commentés[15], la Cour de cassation décida :
« la stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est composé d’un loyer minimum et d’un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».
Cette jurisprudence fit l’objet d’interprétations variables et de nombreuses critiques que l’on ne reprendra pas ici[16].
Mais dans un nouvel arrêt, la Cour de cassation va utiliser une formule différente.
2° – L’arrêt Esq du 29 novembre 2018
Par cet arrêt, la Cour de cassation modifie son précédent attendu de principe et le remplace par l’attendu suivant :
« la stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur, sans pouvoir être inférieur à un minimum équivalent à la valeur locative des lieux loués, n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum garanti »[17].
Les praticiens et les commentateurs se sont interrogés sur cette nouvelle formulation.
La différence de rédaction entre les arrêts du 3 novembre 2016 et celui du 29 novembre 2018 porte sur trois points.
- En premier lieu, la formule selon laquelle « le juge statue selon les critères de l’article
L. 145-33 » est supprimée.
Cette formule avait conduit la plupart de commentateurs à se demander si les dispositions de l’article L.145-33 du Code de commerce n’étaient pas désormais d’ordre public, comme l’écrivait le Professeur Joël Monéger : « La reconnaissance du caractère impératif de l’article L. 145-33 du Code de commerce ne procède plus seulement du choix des parties de le réintroduire. La Cour, en estimant que les règles statutaires de fixation du loyer lors du renouvellement du bail s’imposent au juge, ne laisse-t-elle pas entendre qu’elle incline vers la reconnaissance du caractère d’ordre public de l’alinéa premier de cet article central ? » [18].
Même avant les arrêts de 2016, le Professeur Françoise Auque estimait également que l’article L. 145-33 devait être considéré comme d’ordre public, puisqu’il dispose que le loyer « doit » correspondre à la valeur locative[19].
Nos confrères Jean-Pierre Blatter et Frédéric Planckeel, relevaient également que, vu les arrêts du 3 novembre 2016, le juge était tenu par les dispositions de l’article L. 145-33[20].
On peut penser que la Cour de cassation n’a pas voulu revenir sur les jurisprudences antérieures, en accordant à l’article L. 145-33 un caractère d’ordre public qui ne lui a pas été reconnu jusqu’à présent.
- En second lieu, la référence à l’abattement justifiée par la part variable due en sus du minimum garanti est supprimée.
Certains auteurs ont pensé que la suppression de toute référence à un abattement s’expliquerait par la différence de rédaction entre la clause des baux Marveine et celle du bail Esq. Dans les baux Marveine, il était stipulé que le loyer comportait « une double composante, l’une déterminée, l’autre variable » : il y avait un loyer de base et un loyer variable additionnel.
Dans le bail Esq la formulation était différente : le bail était consenti et accepté moyennant un loyer correspondant à 7 % du chiffre d’affaires, et il était ensuite stipulé que ce loyer annuel ne pourrait pas descendre en dessous d’un certain montant constituant le loyer minimum garanti.
Cependant, à notre avis, ces deux rédactions aboutissent au même résultat et, dans ses deux arrêts, la Cour de cassation mentionne le « minimum garanti » sans attacher apparemment de conséquence particulière à la différence de rédaction.
On peut plutôt penser que la Cour de cassation a été sensible aux critiques formulées, selon lesquelles, étant juge du droit, il ne lui appartient pas de proposer des modalités de calcul qui relèvent souverainement des juges du fond.
Le système de l’abattement avait également été critiqué, d’un côté, par la doctrine favorable aux bailleurs, opposée au principe d’une réduction et, d’autre part, par ceux qui voulait montrer que la proposition d’abattement faisait ressortir la faiblesse de la construction et l’impossibilité de concilier la clause de loyer variable avec le statut des baux commerciaux.
La Cour de cassation, sans interdire aux juges du fond de procéder à un abattement, fait probablement marche arrière sur le plan des principes, et leur laisse le soin d’apprécier souverainement, au cas par cas, les modalités de calcul du loyer minimum garanti et les conditions de réduction de la valeur locative, pour rééquilibrer statutairement la clause de loyer variable.
- Mais, en troisième lieu, alors que, dans les arrêts Marveine, la Cour de cassation déclarait que l’on pouvait recourir « au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative », elle précise, dans l’arrêt Esq que l’on peut recourir « au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum garanti ».
Le juge ne fixe plus, mais évalue. Voilà une nuance qui ouvre de larges perspectives sur l’avenir.
II – L’AVENIR
Les arrêts des 3 novembre 2016 et 29 novembre 2018 nous conduisent à nous interroger sur la place du juge (A), et sur celle de l’ordre public (B).
A – QUELLE PLACE POUR LE JUGE ?
1°- Mission ou compromission ?
La mission traditionnelle du juge des loyers commerciaux consiste à fixer le loyer.
L’article R. 145-23 du Code de commerce vise « la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé ».
L’article R. 145-21 du Code de commerce vise « le prix fixé judiciairement ».
La fixation du loyer est une notion connue.
L’évaluation d’un minimum garanti est une notion nouvelle.
Dans son arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation ne dit plus que le juge « fixe » le minimum garanti selon les critères de l’article L. 145-33, c’est-à-dire comme un loyer. Elle dispose que le juge « évalue », non pas un loyer, mais une « valeur locative déterminant le minimum garanti ».
La nuance a peut-être été suscitée, cette fois-ci, par la rédaction de la clause du bail Esq : il était bien stipulé que le loyer était constitué par le pourcentage du chiffre d’affaires. Le minimum garanti n’était pas présenté comme un loyer, mais comme un plancher.
Le juge ne peut, certainement pas, « fixer » le pourcentage du chiffre d’affaires correspondant au loyer proprement dit, et on ne le lui demandait d’ailleurs pas. La société bailleresse lui demandait de fixer le plancher.
Or, seul un loyer peut être « fixé » par le juge. Une simple composante du loyer, en l’occurrence un minimum garanti, ne peut pas être « fixée » comme un véritable loyer, mais seulement « évaluée ».
Ainsi, le juge ne va plus dire le prix du bail renouvelé. Il va seulement évaluer un minimum garanti, distinct du loyer proprement dit.
On peut se demander si cette mission est bien celle d’un juge. Le juge dit le droit et il est assez curieux de lui confier une mission d’évaluateur, « lorsque le contrat le prévoit ». Bien plus, l’imperium du bailleur contraint le juge à évaluer le plancher au montant de la valeur locative, c’est-à-dire de retenir le maximum légal pour estimer le minimum contractuel.
Une telle mission ressemble plutôt à une compromission.
Les craintes que nous exprimions précédemment, au sujet de la contractualisation des pouvoirs du juge, sont confirmées.
Le juge ne dit plus le droit. Il ne dit plus le prix. Il ne rend pas la justice. Il « évalue » un minimum garanti en exécution de l’imperium du bailleur[21].
2°- La République Française mande et ordonne
On peut s’interroger également sur le caractère exécutoire de la décision du juge qui ne fixe pas, mais qui évalue.
On sait qu’une décision de fixation constitue un titre exécutoire[22], mais qu’en est-il d’un jugement d’évaluation ?
De la même façon que la Cour de cassation a décidé qu’il appartenait aux parties elles-mêmes de procéder au calcul des paliers de 10 %, sur le fondement de l’article L. 145-34 du Code de commerce[23], le juge qui « évalue la valeur locative déterminant le minimum garanti » ne laisse-t-il pas aux parties elles-mêmes le soin de fixer le loyer total, sans pouvoir se prévaloir d’un titre exécutoire relatif à l’évaluation d’un plancher ?
On peut également se demander si une décision d’évaluation fait courir des intérêts au taux légal sur les rappels de loyer, alors précisément qu’il n’y a ni loyer, ni fixation, mais seulement minimum garanti et évaluation.
B – QUELLE PLACE POUR L’ORDRE PUBLIC ?
Les arrêts des 3 novembre 2016 et 29 novembre 2018 ont évacué les objections relatives à l’indivisibilité du loyer et à l’incompatibilité entre les clauses de loyer variable et le statut des baux commerciaux.
La clause contractuelle qui prévoit la fixation du minimum garanti par le juge lors du renouvellement vaut reconnaissance du caractère divisible du loyer.
Elle vaut également soumission au statut des baux commerciaux.
Dès lors, pourra-t-on maintenir la jurisprudence, défavorable aux locataires, leur interdisant de demander la révision triennale, en cas de modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, ou encore la révision sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce, alors que les révisions légales sont d’ordre public ?
Dès lors que l’on reconnaît que le minimum garanti est divisible et peut être fixé de façon autonome, la formule selon laquelle la clause « échappe au statut des baux commerciaux » peut difficilement être maintenue et encore plus difficilement opposée à l’ordre public.
Il serait étonnant d’admettre que le contrat puisse conférer une mission d’évaluation ou de fixation au juge, tout en déclarant qu’une disposition d’ordre public ne le pourrait pas.
Les clauses de loyer variable, désormais divisibles, et compatibles avec le statut, ne doivent plus empêcher les révisions légales.
Il était déjà curieux d’admettre, dans les années 1980, qu’une clause contraire au statut des baux commerciaux lui échappât et restât valable.
Depuis la loi du 1er septembre 2014, les clauses contraires aux dispositions d’ordre public sont désormais « réputées non écrites » et il serait donc bien extraordinaire qu’une clause de loyer variable, à laquelle la Cour de cassation accorde tant de soin pour permettre une évaluation judiciaire « lorsque le contrat le prévoit », puisse empêcher une fixation judiciaire « lorsque l’ordre public le prévoit ».
Par Jehan-Denis BARBIER, Docteur en droit, Avocat, BARBIER ASSOCIES.
[1] Voir notre étude : « Le bail de centre commercial, contrat d’adhésion » : Administrer mai 2019, p. 8.
[2] Cass. 3e civ. 5 janv. 1983 : Gaz. Pal. 1983, I, 325, note Ph.-H. Brault.
[3] Cass. 3e civ. 2 oct. 1984 : Gaz. Pal. 1985, I, 177, note Ph.-H. Brault.
[4] Avant la loi du 18 juin 2014, ces clauses étaient nulles. Depuis lors, elles sont réputées non écrites (v. l’art. 145-15 C. com).
[5] Voir la note Ph-H. Brault sous Cass. 3e civ. 2 oct. 1984, préc.
[6] Cass. 3e civ. 2 oct. 1984, préc.
[7] Cass. 3e civ. 13 janv. 1988 : AJPI 1988, p. 442, note B. Boussageon – Cass. 3e civ. 7 févr. 1990 : Loyers et copr. 1990, n° 180 – Cass. 3e civ. 15 mai 1991 : Gaz. Pal. 1991, I, 427, note J.-D. Barbier.
[8] L’arrêt du 15 mai 1991, préc. concernait une demande de révision formée par le locataire.
[9] Cass. 3e civ. 17 juin 1987 : Bull. civ. III, n° 124, p. 73.
[10] Cass. 3e civ. 28 oct. 1987 : Bull. civ. III, n° 176, p. 102.
[11] Cass. 3e civ. 10 mars 1993 : Gaz. Pal. 3 juill. 1993, p. 21, note J.-D. Barbier ; JCP N, 1994, p. 239, note D. Cohen-Trumer et L. Levy ; JCP G, n° 22089, note F. Auque ; JCP E 1993, n°460, note B. Boccara ; D. 1994, somm. p. 47, note L. Rozès.
[12] J. Derruppé, « La vie du centre commercial » : RD Imm, oct-déc. 1994, p. 565.
[13] Cass. 3e civ. 27 janv. 1999, Administrer mai 1999, p. 29, note J.-D. Barbier – JCP 1999 p. 575, note F. Auque – JCP éd. G 1999, n° 10142, note B. Boccara ; Cass. 3e civ. 29 sept. 1999, n° 97-22199 ; Cass. 3e civ. 15 mars 2000, n° 98-16771 – Loyers et copr. 2000, n° 141, note Ph.-H. Brault ; Cass. 3e civ. 7 mars 2001, Loyers et copr. 2001, n° 123, note Ph.-H. Brault ; Cass. 3e civ. 29 avr. 2002 AJDI 2002, p. 523, note J.-P. Blatter ; Cass. 3e civ. 7 mai 2002, Gaz. Pal. des 17 et 18 juill. 2002, note J.-D. Barbier.
[14] CA Limoges, 4 sept. 2014, n° 13/00095, Gaz. Pal. 25 nov. 2014, p. 23, note J.-D. Barbier ; CA Aix-en-Provence, 19 févr. 2015, n° 13-11349 : RTD com. 2015, p. 238, note J. Monéger ; AJDI 2015, p. 514, note P. Chatellard ; CA Versailles, 12e ch. 19 sept. 2017, n° 16/03805, Gaz. Pal. 21 nov. 2017, p. 57, note J.-D. Barbier.
[15] Cass. 3e civ. 3 nov. 2016, n° 15-16826 et 15-16827, Gaz. Pal. 14 mars 2017, p. 53, note J.-D. Barbier ; Administrer nov. 2016, p. 36, note J.-D. Barbier ; Gaz. Pal. 14 mars 2017, n° 290h1, p. 68, note C.-E. Brault ; Loyers et copr. 2016, n° 253, note Ph.-H. Brault ; AJDI janv. 2017, p. 36, note F. Planckeel.
[16] Voir les commentaires précités.
[17] Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n° 17-27798, Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 70, note C.-E. Brault.
[18] J. Monéger, JCP G 2016, 1415.
[19] F. Auque, RLDA 2012/12, n° 77.
[20] J.-P. Blatter, AJDI déc. 2016, p. 805 ; F. Planckeel, AJDI janv. 2017, p. 36.
[21] L’expression est celle de la thèse de Mme Marie Lamoureux, sous la préface de M. Jacques Mestre : « L’aménagement des pouvoirs du juge par les contractants – Recherche sur un possible imperium des contractants », Presse Universitaire d’Aix Marseille 2006.
[22] CA Paris 5 mars 1996, Loyers et copr. 1997, n° 47, note Ph.-H. Brault ; CA Paris 10 déc. 1997, Gaz. Pal. 1999.1.24, note T. Moussa ; CA Paris 9 sept. 1999, Gaz. Pal. 2000, p. 1195 ; Cass. 3e civ. 6 oct. 2016, n° 15-12606, Gaz. Pal. 15 nov. 2016, p. 70, note C.-E. Brault ; E. Chavance, Fixation vaut condamnation, Administrer nov. 2000, p. 6.
[23] Cass. 3e civ. 9 mars 2018, avis n° 15004, Administrer juill. 2018, p. 28, note J.-D. Barbier, Gaz. Pal. 17 juill. 2018, p. 61, note C.-E. Brault.